Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/29

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d’expériences qui manquaient aux autres, et les ressources diverses de son tempérament.

Adolphe Chevalier, petit, replet, tranquille, était un jeune bourgeois de province, d’une vieille famille du Berry, gens de robe, possesseurs de belles terres au soleil. Esprit très cultivé et de race cultivée, comme leurs vignes et leurs champs, le plus « honnête homme » des cinq (au sens classique suranné), absolument français d’intelligence, il était méticuleux et disert, plein d’habitudes. Quand il se mettait en marche, elles lui battaient entre les jambes. Il marchait cependant, les jambes écartées, pas très vite, posément. Les autres, moqueurs, lui rappelaient les armes de Bourges : « Un âne dans un fauteuil… »

Fernand Véron-Coquard l’écrasait de sa masse, de sa gueule et de son dédain. Haut, épais et charnu, bombant ses pectoraux, faisant trembler le plancher à chaque pas de ses énormes pieds, et les vitres avec les explosions de sa voix en gros-bourdon, il avait une de ces larges faces de l’époque, tout en viande, qui sont sorties de la guerre et semblent en avoir sucé, au lieu de lait, le sang : on hésite, en les voyant, si leur masque rappelle celui des ducs palefreniers de Napoléon Ier ou de Coquelin claironnant en Scapin imperator. Il était fils d’industriel engraissé par la guerre, et il ne se gênait point pour le rappeler, comme il disait, « à toute volée » ( — « Il ne faut pas, soulignait-il, parler de volés, dans la maison d’un voleur ! » ) — Le mépris sanglant qu’il étalait pour son père et la bande, n’excluait point l’affection qu’il avait pour l’auteur de ses jours, surtout n’impliquait aucunement l’intention de renoncer aux dépouilles dont il bénéficiait. Entre la « volaille » et les « voleurs », il n’hésitait pas. — « Tant pis pour les idiots ! Et tant mieux, foutre ! pour moi ! S’ils avaient eu mes couilles, ils auraient fait sauter déjà la société. Ils le feront peut-être. Et je les y aiderai. Mais en attendant, je mange.