Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/364

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Beaucoup trop tard 1 Les avertir des dangers ? Ils les savaient. Et ce qu’elle-même savait — ce qu’elle était peut-être la seule à savoir des deux enfants, — la prenait aussi dans leur toile. Cette Assia qui, dans ses confessions sans frein, comme une inondation, lui avait tout livré — pas seulement le pire, mais le bon, le rare, le plus secret, ce qu’une femme fière a le plus de peine à dévoiler — lui avait aussi inondé le cœur. Elle avait su voir d’un coup d’œil et apprécier en connaisseur, dans sa nudité, la sauvageonne, et la rude discipline qu’elle avait eu l’énergie d’exercer sur soi, pendant ces années d’exil à Paris, sa solitude et sa misère acceptées, sans transiger, son intraitable besoin de vérité, cette loyauté de l’esprit envers soi, — rien ne pouvait être plus sensible à Annette : auprès de cette vertu dangereuse, la « pureté », au sens bourgeois, était pour elle, secondaire. Que Assia ait eu et pût avoir encore des égarements de la passion, c’étaient des coups de vent à la surface, qui n’atteignaient pas l’essentiel : l’intégrité de l’âme, sincère et sûre. Elle passait l’éponge… (Mais elle savait que son fils ne la passerait pas. Et c’était là un des dangers…)

Des dangers, certes, il n’en manquait pas, ils abondaient ; et ils n’étaient pas tous d’un seul côté. Marc aussi était dangereux, — d’un autre danger que celui de Assia. Elle n’eût pas voulu lui remettre dans les mains, (comme Assia le disait, mais sans y croire) une jeune fille neuve et inexpérimentée. Il manquait de frein et d’équilibre, il manquait de prudence et de justice, il manquait de bonté et de vraie humanité. Annette voyait tout cela. Elle jugeait son fils. Il était trop jeune et trop marqué par une précoce expérience, incomplète et dolente. Il pourrait être assagi et vraiment bon, plus tard, plus tard, à quarante ans : alors, il serait peut-être capable de comprendre et de guider une jeune femme. Actuellement, ils achèveraient mutuellement de s’affoler, ils se feraient souf-