Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/56

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cultés spéciales qui la visaient personnellement. Dans sa classe même, parmi cette bourgeoisie intellectuelle qui travaillait pauvrement, elle se heurtait partout à la mauvaise volonté. Ils étaient informés de son « esprit », pendant la guerre ; et ils ne le lui pardonnaient point. Sans connaître les circonstances de son aventure, ils savaient qu’elle avait trempé dans le Défaitisme international (ces deux mots accouplés sont le péché sans rémission) ; elle était sertie impudemment de la Sainte-Vehme de la patrie et de la guerre. Elle n’y rentrerait donc pas ! Elle s’en était elle-même fermé les portes derrière elle. Sans qu’ils eussent besoin de se donner le mot, elle trouva partout portes closes et visages de bois. Aucune place pour elle dans une école, ou publique ou privée. Plus de leçons à donner dans les maisons bourgeoises, qu’elle fréquentait avant. On ne répondait point à ses lettres. Un de ses anciens professeurs en Sorbonne, qui lui avait toujours témoigné quelque bonté, lui adressa, en réplique, sa carte avec les mots : « p. p. c. » Elle était boycottée… Ces durs fronts entêtés des bourgeois universitaires de la vieille souche, qui ont de grandes vertus, un esprit d’abnégation qui les apparente à leurs modèles (trop étudiés) : les stoïciens de Rome et les moralistes de l’antique France ! Mais ils cultivent l’intolérance implacable de l’esprit, assermenté tour à tour au service de leur Dieu, de leur Roi, ou de leur Loi, de leur Patrie ; et leurs narines reniflent encore l’odeur, sinon de chair, d’âme grillée sur le bûcher de l’hérétique et du relaps qui se refuse à leur Credo. Au reste, qu’on ne les accuse point de n’y croire que des lèvres et d’en esquiver le fardeau ! Nous ne les confondons point avec ces bateleurs de la plume, qui ont fait les Tyrtées chez soi, les fesses au feu du foyer, abritées des shrapnels devant qui elles auraient détalé, et des semelles fangeuses des poilus qui brûlaient de s’y imprimer. Ces revêches bourgeois y