Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/96

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dade. Bon gré mal gré, la dignité générale dut céder au souci du salut particulier ; il fallut prendre ses jambes à son cou. Aux environs de la Madeleine, au débouché d’une rue étroite, les quatre compagnons suivis des rares survivants — « rari nantes » — de la colonne, se heurtèrent à une vague de policiers en civil, qui les attaquèrent avec fureur. La mêlée fut courte, mais sauvage. Marc eut juste le temps de voir Bouchard qui ruait contre une grappe d’agents, roulant par terre sur un agent, sous un agent, et piétiné à coups de talons. Le vaste coffre de Véron résonnait comme une peau de tambour sous les poings qui le bourraient. — Et Marc fut tiré par le bras, si brusquement qu’il chancela, faillit tomber, vit une masse d’acier — la poignée d’un sabre — s’abattre près de sa face qu’elle érafla, se retrouva à quelques pas, toujours agrippé par Sainte-Luce, qui venait de lui éviter un coup mortel. Ils détalèrent, poursuivis, par un lacis de rues formant toile d’araignée autour du boulevard. Les devantures des magasins se fermaient en hâte. Marc ne voyait rien, le sang lui coulait sur les sourcils, et la tête lui bourdonnait. Il entendait derrière lui vociférer les poursuivants. Il se laissait entraîner par Sainte-Luce, qui n’hésitait point, sûr de sa route. Après avoir fait un ou deux crochets, au coin d’une rue, Luce tambourina, comme un lapin, aux volets fermés d’une boutique de modiste ; il appelait :

— « Anie !… »

Prestement se releva le panneau de fer, qui fermait le bas de la porte ; il fallait se plier en deux pour passer : Luce poussa Marc, et le suivit à quatre pattes. Des mains de femmes avaient saisi par les oreilles les jeunes garçons et les tiraient. Le panneau de fer retomba derrière eux. Ils étaient dans le noir, sur les genoux. Un agent gueulait au dehors, grêlant sur les volets. Marc, essayant de se relever, entendait contre sa joue un souffle rieur qui faisait : — « Chut ! » ; et ses mains, en voulant s’ap-