Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/105

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il faut être bon pour les grands ! Il les aimait comme des objets qui étaient à lui, énigmatiques, intéressants, qui n’étaient plus trop encombrants ; mais il n’avait pas très besoin de caresses. Il n’en était pas moins, par ruse naturelle, habile à exploiter leur concurrence : (il la sentait, sans la comprendre). Ils s’enfermaient, chacun à part, avec Annette, et ils s’entretenaient longuement. Ils avaient beau baisser la voix, la petite oreille trouvait toujours à glaner un mot. Et le mot était rangé dans son placard, jusqu’à ce qu’il en eût un tas. Ensuite, il triait, il ajustait, il recollait. Mais, grâce à Dieu, il se lassait et il laissait le travail inachevé, incohérent, pour passer à un autre divertissement.

Annette avait réussi à éviter entre ses grands enfants ennemis tout acte de séparation officiel. Le divorce n’a aucun sens entre gens qui, l’un comme l’autre, n’ont aucun bien : à part l’enfant, (si c’est un bien !) que Annette, tranchant le différend, avait pris pour elle. Et la procédure entraînait une perte de temps, dont on n’avait pas trop pour gagner son pain. Sans parler de l’intrusion dégoûtante dans leurs draps de l’œil fureteur de la société. Ils s’entendirent tacitement pour s’en passer. Ils n’avaient pas besoin du visa social pour se déclarer séparés. Annette se garda bien de les y pousser. Elle réservait ses plans.

En attendant, elle évitait qu’ils se rencontrassent dans son logis, et elle tâchait de paraître tenir la balance égale entre eux. Il ne fallait pas qu’ils pussent craindre qu’elle voulût les influencer ; elle devait laisser leurs mauvaises passions se dépenser ; tant pis, si elles les menaient à des écarts déplorables, pour se venger, ou pour s’affirmer leur liberté ! Ils seraient les premiers à les regretter, si l’on ne prétendait pas qu’ils les regrettassent. Il est des fautes qu’un tiers ne peut vous épargner ; chacun doit payer son expérience, de ses