Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/107

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dans le métier une situation indépendante et assez largement rétribuée : on se fait envoyer à des congrès ou des missions à l’étranger. Mais en attendant, combien de vaches maigres !… Elle en était une, quand elle se voyait tout efflanquée dans la baignoire d’Annette. Car Annette possédait ce luxe, et Assia ne se gênait pas pour en user. C’était la seule chose qu’elle acceptât. Mais Annette s’arrangeait, quand elle la tenait là, pour lui enfourner, de gré ou par surprise, quelque solide tranche de pain et de viande, qu’elle dévorait, tout en affirmant qu’elle n’avait point faim. Vania avait compris le jeu ; et quand sa mère le trouvait en train de déjeuner, il lui tendait un morceau au bout de sa fourchette et lui disait : « 

— « Ouvre ton bec ! »

Assia se demandait si elle devait rire ou se fâcher ; mais il avait l’air innocent, elle fronçait le sourcil et ouvrait le bec : le morceau n’était pas long à passer. Annette lui poussait une chaise sous les jarrets ; Assia se trouvait devant une assiette, que, tout en disant non, elle nettoyait. Elle avait un loup dans l’estomac. Mais il ne fallait pas que l’on parût le remarquer. Brusquement, elle repoussait l’assiette, et se levait, irritée.

Elle s’entêtait dans sa rancune contre celui qu’elle avait trompé (non ! pas trompé…), lésé (non plus ! elle n’admettait point qu’il eût un droit), outragé (soit ! s’il lui plaît… Je me suis vengée !) — Vengée de quoi ? Elle eût voulu qu’on le lui demandât, pour se répondre à elle-même, pour déverser l’obscur et trouble qui lui battait au seuil de l’esprit. Elle avait même l’indélicatesse, pour provoquer une contre-attaque, de laisser voir cette rancœur à Annette. Annette faisait celle qui n’entend pas. Jamais un mot pour répliquer. Le feu tombait, faute de tirant dans la cheminée.