Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/112

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de l’Enfer — la « pute bête » qui ronge et souille la chair des hommes. Il était heureux que son enfant fût un fils. Une fille, il n’eût pu la supporter. Mais il ne fallait pas qu’une intonation, une imitation inconsciente ou consciente (que sait-on, chez ces petits singes ?) lui rappelât en Vania celle dont la substance était pour moitié dans le petit qu’il avait engendré. Il s’écartait, il l’écartait brutalement. Il restait quelquefois plusieurs semaines sans le revoir.

Dans la hantise de cette haine qui l’aimantait, ce n’était pas seulement le corps de Assia qui le poursuivait, qu’il poursuivait par la pensée pour le détruire, c’était l’esprit… Qui peut démêler l’un de l’autre ? Pour des amants, des haïssants, l’esprit est chair, l’esprit se flaire, se mâche, se touche, se violente ; on le déchire avec les ongles, avec les dents… Marc s’acharnait contre celui de Assia. Il reprenait, l’un après l’autre, tous ses propos, toutes ses idées qui avaient, jour après jour, pendant des mois, battu le fer contre les siennes. Il brisait le fer ; mais il ramassait les tronçons, pour les briser encore ; et il s’y ensanglantait les mains. Elles étaient de dur acier, les idées de Assia ! Elles se défendaient, elles attaquaient ; même brisées, elles lui entraient sous la peau. Elles n’entraient que mieux : il en restait des limailles dans les blessures.

Marc s’enrageait contre ces dogmes du communisme russe, que Assia, sans les avoir adoptés, lui avait hostilement opposés, par réaction de révoltée contre lui, contre ses idées individualistes (qui cependant avaient été aussi les siennes à elle) et contre la vie qu’il lui faisait mener. Il s’entêtait, par contre-coup et pour se sentir plus éloigné de Assia, dans cet individualisme qu’elle reniait, qu’elle dénigrait. Il s’y enfonçait jusqu’au cou — jusqu’à ne plus pouvoir respirer : car, à moins de desceller la grille qui ouvrait sur le long