Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/115

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Libres, libres : sur ce vocable, voleurs et volés sont d’accord.

Marc, qui n’était pas un des moins obstinés à faire état, contre Assia, d’une liberté, qu’il n’avait pas — (il s’en parait, le cou raidi, comme d’une cravate) — en découvrit maintenant le grotesque, quand il la vit au cou de Félicien ; et il s’aperçut qu’elle l’étranglait.

— « Espèce d’idiot ! » lui dit-il, « il y a de quoi être fier ! Pour ce qu’elle te rapporte, ta liberté ! » L’autre le regarda, avec des yeux offensés. Puis, il prit un air de dignité :

— « Ce n’est pas une question d’intérêt. Il y a d’autres valeurs, au monde. « 

— « Et quelles ? Ta belle âme ? Vieille coquette ! Tu lui souris, devant ton miroir ? Le monde s’en fout ! »

— « Je ne te comprends pas », dit Félicien, placide, mais peiné. « Je t’ai toujours connu jaloux de ton indépendance. À qui, à quoi, aujourd’hui en as-tu ? »

Marc, honteux, vint à penser que son ton agressif était un ricochet des cailloux de Assia contre lui ; et il rougit ; puis, il fut pris d’une envie de rire. Il se vengeait de sa défaite, sur le dos de sa caricature. De reconnaître les motifs secrets de son animosité ne le rendit pas plus indulgent. Au contraire ! Il s’acharna à démontrer à Félicien le peu, le rien que valait sa prétendue indépendance. Avec une mauvaise foi insigne, il reprochait à cet ascète de la science, marié comme Saint-François à la pauvreté, de ne pas sortir de sa cellule, de son labeur désintéressé, pour partir en guerre contre la société et condamner les iniquités sociales. Félicien écoutait, placide, étonné, les yeux ronds, en essuyant son lorgnon. Il était doux, doux, très doux. De grosses mains gourdes, adroites à manipuler ses fioles, un corps tassé, avec des gestes empotés, de