Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/139

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qui se lèvent à l’Orient. Mais dans les yeux du jeune loup, je voyais plus d’une étoile : leurs feux brisés se heurtaient ; ils s’éteignaient et se rallumaient ; de lourdes nuées passaient dessus et repassaient. Tandis qu’il affirmait précipitamment, par jets fiévreux et saccadés, quêtant sa route dans mes yeux, son assentiment aux doctrines de passivité héroïque et de non-violence mises en action par Gandhi, je me rendais compte de la violence de cette nature, de ses passions contradictoires, et que ce n’était pas la paix de l’amour qui l’attirait, mais ses combats, — et non pas le repos dans la foi, mais la fièvre d’agir selon sa vérité. Or, cette vérité, il ne l’avait pas, il la cherchait, écartelé entre ses chemins opposés, tout son jeune corps tendu et tiré à quatre chevaux. — Et je le lui dis : car il était de ces garçons (cela se voyait, du premier regard), qui ne peuvent pas tricher avec eux-mêmes, pour se faire illusion. Et pourtant, ils ont besoin, comme tout le monde, de l’illusion. Mais quand ils la cueillent, elle les charge comme un remords ; ils ne peuvent pas la digérer ; ils ne respirent plus, qu’ils ne l’aient rendue. Je le lui dis :

— « Votre vérité est votre nature. Ne trahissez, ne violentez pas votre nature, en épousant celle d’un autre ! Vous n’êtes pas fait pour le mariage. » (Je vis sa bouche se contracter.) « Vous avez bien assez à faire, de vous épouser vous-même ! Vous avez l’homme et la femme, le pour et le contre, le oui et le non, la passion et l’aversion de la violence, les exigences d’un moi irréductible et le besoin du sacrifice. Ne rejetez rien ! Gardez tout ! Souffrez, cherchez la plus belle harmonie, celle qui est le miel noir des dissonances ! « ἐϰ τῶν διαφερόντων ϰαλλίστην ἁρμονἰαν… »

— « Vous en parlez à votre aise ! Et si l’accord est impossible ?… S’il l’est pour moi ?… »