Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/152

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les entretiens de Bernadette avec Sylvie, qui faisait l’article, même en gouaillant, de son poulain : car elle voulait le placer dans le pré de la sœur aînée. Et Colombe le regardait, par-dessus la barrière du pré, avec les yeux écarquillés, où se lisait l’admiration mêlée à une innocente envie : elle s’inclinait en soupirant, devant l’heureux destin de l’aînée ; et quand ce destin fut brisé, elle en soupira, plus que l’aînée. Elle avait l’âme tendre, romanesque et blessée — éternellement : car sa belle peau était, au plus léger contact, rayée par l’ongle de la vie. Mais cette belle peau n’avait jamais tenté Marc, pourtant gourmand ; la mauvaise chance avait été que Marc, vexé de l’appât au mariage que Sylvie lui tendait, fît retomber son irritation contre toute la famille ; et la poursuite intéressée des prunelles gris-de-fer ne l’agaçait ni moins ni plus que les grands yeux bruns extatiques de la Colombe qui le buvait, en innocence. Ils étaient beaux pourtant, ces yeux, — plus beaux que ceux de Assia ; et beaux, ces bras, ce cou, ces joues, cette bouche, pure, triste, un peu sotte et savoureuse… Mais l’amour souffle où il veut. Il n’avait pas, pour Colombe, soufflé en poupe. Toute sa vie, il devait souffler de côté. Aussi, pourquoi ne savait-elle pas manœuvrer ? Elle attendait, elle espérait, elle laissait faire. Pauvre Colombe ! Ce ne fut jamais son pigeon qui trouva le chemin du colombier…

Sylvie avait disposé de son destin, comme elle avait fait (mais sans succès) de celui de Bernadette. Sa joliesse, la grâce native de ses mouvements, à laquelle une naïve gaucherie du cœur ajoutait un charme de plus, la désigna aux yeux de l’experte reine douairière des jeux et des plaisirs parisiens, pour « saltare et placere ». Elle la fit entrer à l’école de ballets… La petite fleur y étira consciencieusement les tiges fines et