Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/19

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il en ressentit le froid. Au milieu de l’étreinte, il lâcha le corps qui se laissa faire. Bien qu’elle restât immobile, elle lui sembla telle une pierre qui, échappée de ses mains, tombait. L’un en face de l’autre dans le lit, ils avalaient leur souffle et ils feignaient de dormir. Mais chacun épiait l’autre, le cœur et les membres contractés…

— « Quel est cet être, devant moi ? »…

Assia, se persuadant que Marc dormait, en profita pour s’évader ; très lentement elle se retourna et lui opposa le mur de son dos. Marc suivait chacun de ses mouvements, comme d’une bête sournoise qui s’échappe ; et il se demandait, angoissé :

— « Que lui ai-je fait ? »

Assia sentait le souffle sur son dos, mais devant elle, le lit vide, la libre nuit. Elle fuyait, dans la forêt… Heureusement, la feinte du sommeil se mua en sommeil vrai : il s’abattit sur les deux enfants, et les figea dans la poursuite. Quand le jour revint, ils se retrouvèrent, endoloris, mais dégagés ; ils se sourirent, sans trop oser se regarder. Marc avait appris à craindre Assia ; Assia, à se craindre, soi : (c’était pire !… elle n’était plus sûre de ce qui viendrait…)

Après, ce fut le tour de Marc. Le gouffre s’ouvrit. Au lendemain, à l’heure suiveuse d’heures amoureuses, où la pensée était uniquement habitée par le désir et par la joie de l’amourée, se creusait en lui l’absence totale de l’amour : l’aimée n’était plus rien qu’un poids mort. L’indifférence était si écrasante qu’elle affleurait à une ligne du dégoût, à deux à peine de la haine. La révolution intérieure paraissait d’autant plus terrible qu’elle s’effectuait sans bruit, sans choc : on la constatait après qu’elle s’était faite. Marc y assistait, épouvanté. Dans sa loyauté passionnée, il s’accusait, il se condamnait. Mais il n’y pouvait rien. Il était mis