Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/21

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si, d’aventure, elle s’est laissée prendre à son jeu, elle se fâche et renverse le jeu, comme avait fait Marc avec dépit, quand Sylvie l’avait poussé dans le piège.

— Mais ici, il n’y avait aucun piège, aucun jeu. Il s’agissait du tout de la vie, librement offert et accepté. Ils s’étaient tout dit et tout montré. Ils avaient tout pris et tout donné. Ils avaient versé dans leur amour le torrent entier de leur vie. Et c’était justement pour cela (mais ils ne pouvaient pas le comprendre) qu’ayant tout versé, il ne leur restait rien : pas une goutte ! Quand l’amour était en décrue, le torrent de la vie était à sec. Ils périssaient, échoués.

Ils ne devaient que beaucoup plus tard arriver à la sagesse qui comprend et qui prend pitié, qui s’excuse mutuellement, en se ménageant, à ces moments, une retraite où l’on attend la fin du reflux et que remonte la marée prochaine. Car ce n’est rien de moins ni de plus : le rythme de vie et ses oscillations, d’autant plus larges que la vie est plus prodiguement dépensée. À chaque retrait succède un élan, — à moins que la violence des chocs répétés ne distende la corde de l’arc et que le ressort du cœur ne reste faussé.

L’arc était bon ; mais l’archer avait perdu son assurance. Même quand se rouvrait la fontaine de vie, ils ne pouvaient plus oublier les périodes de sécheresse, et comment alors ils s’étaient vus.

Ils n’étaient pas des amoureux aux yeux bandés, qui ont peur de se regarder. À tous les moments de leur amour, ils s’étaient vus comme ils étaient, sans voiles, nus, avec leurs faiblesses, leurs laideurs, et leurs vices (il y en a chez tous : chez les plus beaux et les meilleurs). Ils avaient tous deux les yeux aigus, et se faisaient honneur de tout voir et de tout montrer. Quand venaient les périodes de mort du cœur, ils ne découvraient dans le compagnon rien qu’ils ne connussent. Mais