Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/220

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il n’avait jamais cherché à la revoir. Il avait même eu peur de s’informer d’elle. Et ce n’était point brillant ! De crainte d’être troublé, il avait évité de savoir s’il n’aurait pas eu plus d’une occasion de lui venir en aide, dans le besoin, dans le danger. C’est le cœur « trop sensible », qui se détourne de la bête écrasée, parce que « cela lui fait mal », ou « pourrait lui faire mal », et qui n’essaie point de la panser !… On connaît ces tristes cocos ! Mais qu’il en fût un et qu’il le sût, il y avait de quoi, pour lui, être suffoqué de dégoût… Ah ! il lui fallut du temps, avant d’éliminer les vieilles tares de sa nature… Et il ne s’en nettoya sans doute jamais tout à fait. Il lui en resta toujours, au fond du vase, une rouille que ses ongles s’acharnaient à gratter.

Mais chacun a sa rouille, et Annette avait la sienne. L’essentiel est que, dans l’âme, l’eau courante empêche les conduits de vie de s’obstruer. L’eau fraîche, l’eau nouvelle… La seule pourriture, pour l’âme, l’irrémédiable, est celle de l’étang. Le fleuve lave sa vase. Elle passait, la Rivière ! Elle l’avait arraché à son immobilité torpide, à la résignation de ce purgatoire de l’esprit, où végètent des milliers d’infusoires humains. Elle lui avait imprimé l’élan et révélé la vie, avec sa passion, sa douleur et sa flamme dans la nuit.

Et de plus, — (triste à dire, mais c’est ainsi !) — par les souffrances mêmes qu’il avait causées à Annette, eh bien, lui, il s’était racheté ! Faire souffrir injustement un être qu’on aime, peut, quand on a l’énergie d’en prendre pleine conscience, devenir une révélation qui enrichit. Julien lui avait dû, depuis, par le remords, une vue plus profonde des hommes, un instinct de justice, un besoin de réparer, par le bien fait aux autres, le mal fait à une seule. Annette avait payé, pour lui. Julien était d’une vieille bourgeoisie française, où l’on a bien des vices encrassés et les doigts qui crochent