Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/226

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de distinguer entre fas et nefas, qu’il s’attaquerait au grand Fétiche ; et patiemment, les bras croisés dans les longues manches, ils attendirent, aux aguets, la catastrophe. Moins avisés, ces laïques qui s’imaginaient voir en Julien un libre-penseur de tout repos, n’ayant trahi la sacristie qu’au profit de la loge et enrôlé au service de la raison traditionaliste, nationaliste, bourgeoise, laïque et obligatoire : ils lui avaient ouvert, avec les portes du Collège de France, celle de l’Académie des Sciences morales et politiques, en attendant l’autre, la seule qui compte, l’Immortelle : car certains des grands-électeurs, dans la maison, avaient jeté leur dévolu sur lui ; et son vieux maître, celui dont nous venons de citer l’exclamation touchante et puérile, lui avait fait entendre que dans les deux ou trois ans, l’élection était assurée : il en faisait son affaire personnelle. Le vieil homme avait, on ne sait pourquoi, pour Julien, une tendresse ; il l’avait vu, enfant, dans sa classe de lycée, puis sur les bancs de la Faculté ; et, sans trop s’inquiéter de pénétrer sa pensée, il s’était attaché à ce visage, dont le jeune sérieux et la loyauté lui étaient une agréable assise, tandis qu’il conférenciait ; entre les deux regards qui se souriaient s’étaient établis, au cours des années, des rapports muets de père à fils. Le vieillard était convaincu d’avoir en Julien un héritier spirituel. Et Julien, reconnaissant et respectueux, ne s’était pas clairement demandé s’il répondait à l’attente de son maître.

Quand vint la guerre et que, d’eux mêmes, les intellectuels (les Universitaires, au premier rang) s’enrôlèrent au service de la patrie, le vieux chevronné de l’intelligence officielle, le maréchal de l’Université, confia tout naturellement à son favori un rôle de choix dans l’équipe qu’il organisait de l’Arme nouvelle : l’Esprit, pour la première fois militarisé, réquisitionné