Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/233

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ombre de son esprit ; et il aurait eu besoin de la chair, du corps vivant uni au sien, pour lutter contre ce monde de chair. Mais il ne songeait même pas à la chercher. Trop tard ! La partie était perdue. Il était de ces stoïques, (je les salue, Dieu les bénisse ! mais je ne suis pas jaloux de leur brouet, qu’ils s’en pourlèchent ! ) qui n’ont jamais peur de la défaite, mais qui ne font rien pour la réparer, et qui l’acceptent. Julien resta fièrement dans le désert de sa maison — que, par bonheur, commençait d’égayer la turbulence d’une enfant… Nous la retrouverons. Mais elle en est encore — je ne dirai pas à ses poupées, car elle n’a rien des goûts d’une fille — mais à ses jouets et jeux de garçon. Bien entendu, étant la fille d’un « pacifiste », elle ne rêve que plaies et bosses ; elle est Georgette : elle sera George. Pour l’instant, elle ne se fait connaître que par son fracas dans la maison. Pas une semaine sans écroulement ! La mère se lamente comme Rachel. Le père se tait. Il ne gronde jamais.

Au dehors, le vide hostile s’est creusé. La carrière académique de Julien est brisée. Les grands-électeurs de l’Académie n’auront désormais d’autre préoccupation que de faire entrer chez eux des complices, — des ministres, des maréchaux, ou des intellectuels qui aient, comme eux, pour la bonne cause, trahi la vérité… « Pour Dieu, pour le tsar, pour la patrie !… » la devise de Michel Strogoff… Le vieux maître et protecteur n’a plus répondu aux lettres affectueuses de Julien, et lui a fait retourner, sans la lire, une brochure où Julien, avec modération et respect pour ceux qui pensent autrement que lui, exposait objectivement (documents à l’appui) sa thèse des responsabilités de guerre partagées et du devoir des intellectuels de travailler à la prompte réconciliation. Les combattants à l’abri, de l’Action Française, qui se sont cons-