Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/247

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Et Julien, qui de sa pénombre de vieux Faust morose dans son cabinet d’alchimiste, la contemplait sans qu’elle le sût et admirait avec effarement la libre fille sortie de lui, tremblait chaque jour qu’elle s’enfuît, et chaque jour se rassurait, en la voyant satisfaite, dépourvue d’inquiétude et de désirs. Il se demandait :

— « Comment fait-elle ? Comment a-t-elle fait pour sortir de moi ?… »

Et une voix en lui répondait :

— « Tu le sais bien ! Tu la reconnais… »

Qui ? — Celle qui avait marqué sa vie, celle que sa vie avait rejetée. Mais grâce à Dieu ! elle avait été la plus forte. Elle n’avait jamais quitté sa maison. Elle avait lentement pénétré sa pensée. Elle avait fait plus. Elle avait pénétré son grenier. Cette graine vivante qui venait de lui, Julien voulait se persuader qu’elle venait d’elle. Il prétendait la reconnaître. Il reconnaissait certains détails imperceptibles à d’autres yeux, une ombre duvetée au coin de la lèvre, le port du cou, la prononciation de certaines consonnes, des réflexions qu’elle avait faites, et Dieu sait quoi !… Il se disait :

— « Mon Dieu ! Annette… »

Illusion, sans doute. Sa vision, imprégnée d’elle, la projetait sur les objets. Mais après tout, si son esprit