Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/284

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Près de deux ans avaient passé depuis le cataclysme. Quand Bruno reparut parmi les hommes, bien peu y songeaient encore. Mais ceux qui s’en ressouvenaient, à la vue de ce revenant, se demandaient s’ils avaient rêvé. Aucune trace ne s’en montrait sur le visage du comte Chiarenza, dernier de sa race. Non seulement il n’en parlait jamais, et il écartait, sans paraître entendre, les allusions apitoyées ; mais ses traits calmes avaient un grave sourire détaché. Les doigts de l’épreuve n’étaient marqués qu’en sa chevelure et sa fine barbe bien soignée, qui avaient blanchi prématurément : (il n’avait point dépassé la quarantaine). Mais il était dans la plénitude de sa force, — de corps agile et robuste. Pour qui ne savait point dans quelle étoffe de dissonances avait été taillée cette harmonie, le spectacle était déconcertant… Il apparaissait comme un arbre, tranché de toutes ses branches, qui monte droit. Les cœurs sensibles n’étaient pas loin de le lui reprocher. Ils se complaisaient, comme Pécuchet, à l’image de l’arbre foudroyé. Le comte Chiarenza ne leur disait pas que la foudre était entrée dans ses moelles ; il était pareil à la salamandre de la légende : le feu était devenu son élément. Il y vivait, seul et nu. Tout l’édifice