Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/290

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ne les tentait pas, en ces premiers ans de l’après-guerre : celle des légionnaires de la vieille République qui, rentrés au foyer, durement domptèrent leur propre terre, — ceux qui drainèrent le sang stagnant des champs fiévreux, et rétablirent dans le grand corps de l’Italie le système artériel de leurs puissants Aqueducs. Ce n’était pas seulement dans le corps qu’il fallait que le sang recommençât de couler, c’était dans l’âme de ces pays, comme enlisée dans des sortilèges — ils eussent dit : « l’han pigliata d’uocchi » ( « le mauvais œil l’a touchée » ).

Contre le mauvais œil, les beaux yeux clairs et calmes du comte Chiarenza engagèrent le combat. Il parcourait toute la région, pansant les plaies physiques et morales, faisant, à tour de rôle, le médecin, l’apôtre, et le terrassier, laissant partout sous ses pas une traînée de lumière. Un mince ruban. Mais comme les cailloux du Petit Poucet, il permettait à ceux qui suivaient de retrouver leur chemin dans la forêt. Car on le suivait. Il se révélait à lui-même un génie d’organisation et une fièvre d’apostolat, qu’il n’aurait jamais soupçonnés en lui. Son idéalisme passionné soulevait d’autres consciences, femmes et hommes des plus hautes classes et des plus basses, — une petite cohorte ardente et pure, comme on en peut trouver, à ce degré, seulement peut-être en cette Italie, où les extrêmes de l’âme se touchent, — la fange et le feu.

Ce fut au cours d’une de ses tournées dans l’Agri, au sud de Pisticci, que Annette le rencontra dans le chemin de fer qui remonte la vallée du Basento.