Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

correspondance avec lui. Le point de départ fut la discussion de textes pythagoriciens, que Julien étudiait, pour ses travaux d’histoire des sciences ; et rapidement l’entretien s’étendit aux problèmes les plus intimes de la pensée métaphysique et religieuse, où les deux hommes reconnurent leur mutuelle sincérité et, chez tous deux, si différents, les analogues expériences de l’abîme. Ils furent amis, avant de se le dire : car ils avaient tous deux la même réserve altière.

Ils étaient trop détachés de la farce politique, pour imaginer qu’ils s’y mêleraient, un jour. Mais la farce était devenue tragédie ( « CommedianteTragediante… » ) ; et le malheur des temps avait fait que les maîtres de l’opinion et les guides, tant politiques qu’intellectuels, ayant totalement abdiqué ou trahi, les libertés de l’Europe et tous les biens sacrés de l’esprit, que des siècles d’efforts avaient conquis, étaient livrés à des bandes de rapaces qui les mettaient en morceaux. Il fallait bien que les rares hommes, dont la conscience n’avait point les yeux crevés, se fissent les éveilleurs et les veilleurs des autres, — même si ce n’était point leur rôle ! De qui le peut dans le naufrage, c’est toujours le rôle de sauver… « Ou bien, nous périrons ensemble. Mais je périrai, les yeux ouverts !… »

Ceux de Julien avaient déjà refusé le bandeau, dont ses confrères s’étaient, avec une docilité frénétique, aveuglés pendant la guerre. Il avait rejeté dédaigneusement les offres de participer à l’infection de l’opinion française par le mensonge et par la haine. Il avait ainsi ruiné son élection certaine à l’Académie. Et l’on a vu qu’il avait eu l’honneur d’être chahuté à son cours du Collège de France, par quelques vigoureux combattants de l’arrière. Mais on n’était pas allé jusqu’à fermer son cours. Il avait — bien malgré lui — quelques répondants bien-pensants, appartenant à son ancien