Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/326

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moins) : d’un accord final des deux êtres, sur lequel s’achevait la courbe préétablie de chacune des deux destinées. Et, sans parler — le plus souvent, lorsque, la nuit, de l’une à l’autre maison, chacun des deux pensait, dans son lit, — ils se rendaient grâces l’un à l’autre ; et ils voyaient que jamais ils n’avaient cessé d’habiter le cœur de l’ami.

Mais les deux habitations n’étaient pas également remplies ; et dans celle d’Annette, Julien n’occupait qu’une chambre. La maison de Julien manquait de meubles et d’habitants ; en dehors d’Annette et de sa fille, qui n’y logeait qu’en camp volant, elle n’était guère habitée que de ses livres et de ses idées : cette poussière avec des toiles d’araignées !… La maison d’Annette était pleine : pleine de passé, pleine de présent ; et il y avait encore des chambres qui attendaient les visiteurs qui pourraient venir demain, — qui viendraient. Non, la partie n’était pas égale ! Elle ne peut pas l’être. Il n’y aurait pas de jeu, il n’y aurait pas de vie, s’il n’y avait un gagnant et un perdant, un qui donne plus, un qui prend plus. Julien donnait plus, ayant plus à donner, plus d’affection en disponibilité. Annette ne pouvait disposer de la part qu’elle avait donnée aux autres, ou qu’elle donnerait : (car l’avenir retient sa part). La part de Julien était bonne. Il lui fallait s’en contenter. Si elle n’était point égale à sa faim, c’était sa faute : lorsque le cœur d’Annette était encore presque entier, il l’avait laissé échapper. Il devait être reconnaissant du morceau qu’elle lui avait gardé. Il l’était.

Mais non sans un regret, qu’il se reprochait, des autres parts qu’il n’avait point, surtout de celle qu’un nouveau venu, un ami nouveau, s’était, sans la demander, attribuée : le comte Bruno.