Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/338

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Ce grand amour, qui se taisait, qui se murait, n’échappait point au regard intérieur d’Annette. Il eût été moins prenant, s’il eût parlé. Il s’en dégageait comme un soleil entre les murs. Le pauvre Julien gardait toujours son foyer de chaleur caché. Il ne laissait passer que la lumière, l’esprit qui éclaire sans réchauffer. Mais cette chaleur concentrée pénétrait les murs de briques, contre lesquels les mains d’Annette s’appuyaient ; et elle sentait la tiédeur assourdie de ce vieux cœur frémissant. Que de tendresse en lui et que de tristesse ! Comme il lui était livré !

Celui d’Annette était, en ces jours, partagé entre ses deux vieux amis. S’il eût suivi son seul penchant, c’était vers Bruno qu’il eût incliné. Bruno avait plus à lui donner. — Mais elle avait plus à donner à Julien. Et pour une femme de son espèce, donner est le besoin le plus fort.

Certes, il eût été doux de se laisser bercer par le grand rêve riche en lumière, par la sagesse riante et l’affection caressante du comte Chiarenza. Une âme de femme fatiguée par toute une vie de combats solitaires, blessée, meurtrie, eût trouvé bon de pouvoir s’abandonner à la tutelle de ce tranquille et ferme