Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/357

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Oui, c’était là le mystère : que tout en se refusant à prendre part aux campagnes de l’active, Bruno, comme Julien, ne restaient jamais cantonnés dans les fourgons de l’armée. Ces deux hommes si différents, le Démocrite et l’Héraclite de la légende, avaient ceci de commun que, s’étant tous les deux, par deux voies opposées, évadés de l’enceinte de l’action qui enserre et défend la Cité de l’homme, tous deux se retrouvaient de garde aux marches frontières, partout où se livraient les plus dangereux combats. Et de leurs observatoires, nullement à l’abri, sous les salves croisées des deux camps, ils n’étaient jamais las d’étudier l’être en mouvement ; leur curiosité, précise et avertie, savait déterminer la pente, et leur esprit frayait, d’avance, le lit au courant. Car telle est la nature de l’âme d’Occident, qui a beau avoir trouvé la porte de la fuite dans le rêve, ou bien dans le néant, — qui a beau douter de tout et de ses raisons d’agir, — qu’elle croie ou ne croie pas, l’âme d’Occident va, elle va… « E pur si muove… ». Elle ne s’accorde pas le trop facile recours de l’immobilité, dans la mélancolie ou dans la volupté du doute ou de la foi. Chevauchant son : « Que sais-je ? » aussi bien que ses « Credo », — ainsi que Rossinante, et l’âne