Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/359

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Comment l’esprit eût-il été intimidé par les ébranlements de la société, les coups de bélier qui, par toute la terre, sapaient les normes des vieilles cités ? Même ce bourgeois qui avait été nourri des traditions de la France classique et catholique, même ce gentilhomme de Sicile qui avait sa barbe parfumée de la culture gréco-latine, ne cherchaient point dans l’avenir le passé, mais dans le passé l’avenir qui naît, le jeune Hercule qui, au berceau, déjà étouffe les serpents. Ils ne voyaient pas d’un mauvais œil Hercule adulte qui, de sa massue, nettoie les steppes de Scythie. Ils étaient curieux des Travaux de la Révolution russe, et les suivaient avec une sympathie qui n’excluait pas la critique ; mais c’était celle d’amis vieux, qui regrettaient de ne pouvoir plus prendre leur part de ces peines et même de ces jeunes erreurs qui engendrent une Vérité, une Vie nouvelles. Et de humer leurs regrets, Marc éprouvait la joie d’être jeune et de pouvoir entrer dans cette Terre Promise, au seuil de laquelle ils restaient. C’était pour lui un sentiment nouveau. Il n’avait, jusqu’à ce temps, pas beaucoup apprécié sa chance : la Terre Promise et la jeunesse lui avaient paru une terre maudite. Quand un de ses aînés la lui vantait, quand ils lui disaient :

— « Vous êtes un veinard, d’avoir vingt ans ! »
il avait envie de les souffleter ; il y voyait une atroce plaisanterie… Ou quels idiots étaient-ils ?… Mais ces deux hommes, qui avaient payé largement leur écot de peines à la vie, — qu’ils regrettassent de n’en avoir pas davantage à donner, ils avaient le droit de parler ! Et lui, ne l’avait pas de bouder la table, au commencement du repas.

Son Assia ne la boudait pas ; mais elle n’eût pas su dire pourquoi ; ses bonnes dents eussent mastiqué