Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/395

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— huit à neuf ans — s’aventurait au bord de la râpe, risquait une jambe sur la pente, pour attraper un nid de primevères. Aucun danger ne menaçait. La râpe semblait abandonnée. Mais il n’était pas prudent de s’y promener ; et Annette voulait mettre en garde les parents, quand la fillette perdit pied sur le terrain friable de la pente, qui s’éboula, et elle glissa au creux de la râpe. L’enfant riait de l’aventure et ne se pressait pas de remonter. Juste à ce moment, les cris rauques annonçaient d’en haut le lancement d’une charge de bois. Avant que les parents de l’enfant eussent compris, Annette, penchée au bord de la râpe et tâchant en vain d’attraper la main tendue de la fillette, sautait en bas et l’entraînait dans le renfoncement d’un promontoire formé par les racines d’un vieux sapin incrusté à un rocher qui avançait, suspendu sur le couloir. L’avalanche de bois et de pierres passa en rafale, à côté d’elles, sans les toucher. La famille avait assisté éperdue à la scène prompte comme l’éclair, avant qu’aucun, glacé d’effroi, eût pris conscience d’une décision. Quand la sauveteuse eut hissé sur la rive l’enfant, qui commençait à avoir peur, elle fut reçue avec des transports. Le père manifestait une émotion presque hystérique : il embrassa Annette, en pleurant. Annette, passant de bras en bras, étourdie par le flux de paroles qui l’inondait avec les larmes, avait un amusement agacé à retrouver la volubilité de la langue italienne, qu’elle aimait.

Après que se fut calmée la première fureur du sentiment et que les embrassades furent dénouées, on se présenta. L’homme, très brun, aux joues bleu-noir, frais rasées, contre lesquelles les joues d’Annette s’étaient frottées, un long museau asymétrique, aux yeux de feu, intelligent, hypernerveux, mais (Annette eut vite fait de le saisir) jouant de ses nerfs, en bon