Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/409

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le plaisir de chatouiller le bon gros rire enfantin de George, à manier la latte d’Arlequin sur le dos des « négroïdes », comme il nommait les chemises noires, ouvrait des yeux étonnés, lorsque Assia, posant la main sur sa main, lui soufflait :

— « Pas si haut ! »

Il demandait :

— « Pourquoi ? »

Et Assia, réfléchissant, se disait :

— « Après tout ! Pourquoi pas ? Tant pis, tant mieux, pour les poissons aux aguets ! Je les vois verdir dans leur bouillon. Une poignée de sel, et faisons-les cuire ! »

Les espions en tournées à l’étranger ont l’habitude des affronts ; ils n’eussent pas tenu grand compte des insolences de quelques touristes de passage. Mais Marc ne tarda pas à être repéré, quand on vit son intimité avec Julien, dont le rôle au procès attirait l’attention. Julien figurait au premier rang de la liste noire, en qualité de président d’honneur de la Ligue Internationale Antifasciste ; et il était l’objet de surveillances spéciales, qu’il ne fuyait pas, qu’il dédaignait. Son jeune partenaire, à Lugano, en bénéficia.

Parmi ceux qui cherchaient à prendre part à leurs entretiens, était un jeune Italien, que Marc avait rencontré déjà dans les cercles antifascistes de Paris. Il avait une belle figure intelligente, que déparaient une tache de vin à la joue et certain tic, le clignotement nerveux d’une paupière. Il se nommait Buonamico, et il faisait montre d’une excitation hystérique contre le régime ; il allait et venait de Paris à Londres et à Bruxelles, par les diverses colonies d’émigrés, brûlant d’une sainte agitation, réchauffant les fois découragées, leur soumettant, à mots couverts, de vagues et violents projets, bombes et