Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/440

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il lâcha sur le trottoir la proie sauvée, et s’affaissa, portant les deux mains à son sein gauche. Un grand fasciste, qui le dépassait d’une demi-tête, (celui-là même qui sur le pont l’avait toisé), mâchoire féroce, lui avait entré à deux mains, de bas en haut, son couteau. Les deux femmes virent le coup. Annette chancela : elle l’avait reçu. Assia sauta, comme une panthère, sur son petit, pour le défendre ; et ses dix ongles labourèrent la face odieuse du boucher, trouèrent les yeux. Les spectateurs attendaient qu’elle fût tuée… Mais un coup de théâtre se produisit. Un homme qui surveillait la scène à distance et qui semblait la diriger, s’était élancé à son tour. Quelques mots suffirent. En un instant, la bande entière se dispersa. Le vide fut fait autour de Marc et de Assia. Ils étaient seuls sous le soleil… Et cette foule, maintenant amassée à trente pas, qui regardait !…

Marc était mort. Du premier coup. Ses deux mains jointes sur son cœur. Le flot de sang ruisselait entre ses doigts. Tête renversée sur le pavé, ses yeux ouverts ne voyaient plus, gardaient gravé, sous le rideau de sang, le ciel toscan…

Annette, seule, à quinze pas, paralysée, le regardait, les yeux béants, le souffle arrêté, tendant les bras. Le souffle revint, comme un soufflet usé qui halète. La foule, derrière, l’entendait. Mais pas un ne s’en détacha pour soutenir la mère. Elle s’était mise en marche vers le fils. Mais ses jambes étaient de pierre. Chaque pas lui coûtait un effort surhumain.

Elle arriva près de Assia penchée sur le bien-aimé, dans son sang. Elle l’écarta. Elle s’assit dans ce sang. Elle prit le fils mort à pleins bras, elle l’étreignit, elle l’étendit sur ses genoux. Et brusquement, — toute la vie, et avec la vie la douleur reflua, comme au dégel une rivière, — la face levée vers l’implacable, vers le