Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/46

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démocratiques, aient passé au rôle de courtisans. Quand c’était une aristocratie dégénérée qui se prostituait, nous n’avions qu’à laisser faire : creuse ta fosse ! mes champs, dessus, en seront plus drus. Mais à présent, ce sont mes champs qui pourissent ; et qui trahissent, ce sont mes idées, mes mots-lumières, mes paroles-sources, où s’alimentait le grand individualisme. L’Indépendance de l’Esprit… Où a-t-elle passé, l’indépendance ? Dans le meilleur cas, à jouer l’opposition constitutionnelle à un régime qu’elle ménage, car elle entend s’en assurer la succession, et par avance elle endosse charges et tares de l’héritage. Ils sont devenus si experts à nager dans un compromis de pensées que, par moments, on ne distingue plus les rouges des noirs, ni la main gauche de sa droite : tout est mêlé, et les partis au Parlement, comme au dehors, sont plus ou moins des amphibies.

— « J’aime encore mieux, pensait Marc, les arrabbiati de la réaction : ils sont francs, comme la lame du couteau qu’un jour ou l’autre, ils me planteront dans les côtes. Mais ces socialistes d’après-guerre, ces baisers de Judas, qui livreraient la Révolution et tâchent de lui couper les jarrets, parce qu’elle les gêne dans leur réformisme sans hâte et sans casse !… Ces locataires de l’État, ils se gardent bien de bouleverser la maison, qu’un jour ils comptent mettre, à leur profit, en location… Et qu’ai— je à faire de ces placements de pères de familles, et de ces baux de préjugés et d’intérêts ! Si seulement je trouvais en Occident un quarteron d’hommes libres, d’hommes décidés, quoi qu’il en coûte, à rechercher et à servir, où qu’ils la trouvent, la vérité ! Fût-ce contre leur patrie, ou contre leur caste. Fût-ce contre eux-mêmes ! La vérité est la patrie de l’homme libre… — Mais tous ceux que je vois autour de moi sont des sans-patrie. Des asservis