Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/460

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toutes deux, ce fut une diversion salutaire à la douleur. Chacune pensait :

— « La pauvre femme !… »

(Annette : — « Comment, sans moi, recevra-t-elle la nouvelle ? » )

(Sylvie : — « Comment a-t-elle, sans moi, reçu le coup ? » )

Et dans leur deuil, toutes deux cherchaient comment l’alléger à l’autre. Car elles avaient eu beau être longtemps séparées de fait, séparées de cœur, — elles étaient sûres que ce deuil était à l’une autant qu’à l’autre. Cet enfant, elles l’avaient comme fait ensemble, nourri, élevé, partagé ; elles ne pensaient plus à se le disputer. Elles mouraient ensemble de sa mort. Que l’une de l’autre elles étaient proches, dans son tombeau !

— « Viens, couchons-nous, ma pauvre Annette ! »

Et Sylvie revit leurs deux jeunes têtes qui se touchaient, penchées sur le berceau…

Vers la tombée de la nuit, elle se leva malgré la défense, examina dans ses armoires ses défroques, prit une aiguille et des ciseaux, réajusta une de ses robes. George revint, vers huit heures. Puisqu’elle ne pouvait rien empêcher, elle devait au moins tout faire pour que les risques fussent moins graves. Elle renouvela le pansement et le bandage, elle aida Sylvie à s’habiller. Sylvie prit, du tiroir près de son lit, un petit miroir et son fard ; elle ne voulait pas que son aspect pût inquiéter Annette. George, la soutenant dans ses bras de jeune athlète, descendit avec elle l’escalier. Un taxi les emmena à la gare.

Le train du Simplon fut exact, comme les rois (dit-on ) et le malheur. Peu après dix heures, les deux femmes qui attendaient virent, dans le flot des arrivants, venir les voiles noirs des deux femmes. La plus