Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/475

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sont là des cris de passion. Ils n’attestent rien que l’amour, prêt à se jeter dans le feu, pour y soustraire l’aimé. Ils ne rendent pas compte de la place réelle de celui qu’on aime, dans la réalité de notre existence, et de ce qui resterait de celle-ci, si celui qu’on aime en était extirpé. Or, il apparaissait soudainement à Annette qu’il ne restait plus rien. Le fils aimé était tout.

Même au plus fort de sa passion maternelle, elle ne s’en était pas doutée. La flamme perpétuellement nourrie de sa vie ardente et agitée semblait se passer de lui, et avait bien des fois rongé d’autres aliments. Mais à aucun moment, il n’était absent d’elle. À son insu ou non, elle savait qu’il était toujours là, et qu’elle tenait à lui, comme la flamme à l’huile de la lampe. La flamme peut s’étendre aux rideaux du lit, et à toute la maison. Mais le foyer est dans la lampe. Le fils était le noyau du feu. Le reste était flambées qui passent.

Quand elle faisait maintenant le compte de tout ce qu’il avait été pour elle, elle ne trouvait plus rien de sa vie dont il n’eût été le cœur. Trente ans de vie ensemble, d’où il n’avait pas été absent un seul jour. Et avant qu’il fût né, elle le trouvait encore au fond de sa chair, comme son élan éternel, son objet et son but, son essence, sa raison d’exister… « Amour, je t’ai, je suis toi, tu es moi, nous sommes un… » Toutes les déceptions de la vie n’avaient pu effacer cette foi. Il était son double, son vrai moi, son meilleur. Qu’il le voulût ou non, qu’il l’aimât ou non, que ce fût vrai ou non, c’était son acte de foi secrète, constante, inexprimée. — Elle s’exprimait maintenant, par la mortelle constatation que, le fils parti, il ne restait plus rien.

Tout le reste était la frondaison touffue d’une