Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/478

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et son visage était coloré. Mais cet éclat était trompeur. Elle portait dans ses veines le poison de fièvres grippales quasi-chroniques ; et le cœur commençait à être atteint.

Bruno fut frappé du changement. Il vit la révolution qui s’était faite. Annette l’accueillit, de ses yeux affectueux. Mais ces yeux, las, étaient distraits de la présence de l’ami. Tout ce que Bruno venait dire, apparut à Bruno inutile et déplacé. Il ne parla point de ce qui les occupait. Rien de la mort, et rien du mort. Il se fit entre eux un grand espace de silence. Bruno se retrouvait lui-même, reporté à trente ans en arrière, dans ces silences sous le soleil de la Maremme, où dans la fièvre il avait mûri son deuil. Il revivait, sous la lumière aveuglante et torpide, « la Grande Ténèbre » : — « rien dans le cœur, pas un mouvement… » L’âme dépouillée, « qui s’est faite le non-amour », prend son premier contact avec l’Un… C’est l’hôtellerie de la première nuit sur l’âpre route, qui mène à la délivrance et à la paix. On ne peut épargner le pèlerinage à ceux qu’on aime. Il faut seulement qu’ils soient capables d’aller jusqu’au bout. Annette le serait. Le regard de Bruno scrutait la face gonflée de l’amie absente, ce rouge-brique du sang figé sous les joues, qui dort, commue dormait la fièvre sous les joncs des marais fleuris, au soleil… « Réveille-toi ! Rouvrez-vous, pleurs ! Sang, recommence à couler !… »

Dans le silence, à mi-voix, Bruno rêvant tout haut, conta une mystérieuse histoire, — la parabole de Narada :


— « Un jour, Narada dit à Krishna : — « Seigneur, dévoilez-moi Maya ! » — Quelque temps passa. Krishna emmena Narada dans un désert, ils marchèrent ensemblde plusieurs jours. Krishna dit :