Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/51

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colonisation. Un jour ou l’autre, quelque fâcheuse indiscrétion révèle engagés ces grands cœurs, ces chevaliers des Immortels Principes, dans quelque sordide escroquerie d’une société d’affaires ou d’aventures, que la bande rivale a dénoncées. Beaucoup de bruit pour rien ! Il n’est que de riposter par la menace d’un autre scandale contre l’autre bande de voleurs. Les deux s’enrouent à crier : — « Justice ! justice ! » — pendant une semaine ou deux ; puis, tout se tait ; ils ont fait un pacte : — « Je vole à gauche, tu voles à droite, n’en parlons plus ! »… Bouche close et les poches pleines !… Elles ne le sont pas, celles des bonnes bêtes de rédacteurs, les quelques braves gens sans caractère, qui ont accepté de jouer au naturel le rôle d’idéalistes dans l’équipe, afin de raccrocher les clients. Eux, ne mentent pas, mais ils sont l’amorce du maraudeur qui pêche en eau trouble ; et ils s’efforcent d’oublier cet office humiliant. Que peuvent-ils d’autre ? Il faut bien vivre ! Et où écrire ? Ils se persuadent qu’ils accomplissent un sacerdoce. Leur négrier a l’habileté de les laisser ramer « librement », — bien encadrés à leur banc ! Il sait bien qu’ils sont sans danger, et que leurs coups de rames asthmatiques ne feront pas dévier d’un pouce de sa route le bateau. C’est le bateau qui les entraîne, eux et leurs boniments d’idéalismes, comme des tritons sculptés à la poupe, tandis qu’à la proue, sous l’écume, opère la gueule de requin. De quoi se plaindraient-ils, ces « idéalistes » ? Toute liberté pour épancher leurs vertueuses homélies ! Pourvu qu’elles s’appliquent à tout en général, et à rien ni à aucun en particulier, tout est très bien, cela fait partie de la parade. Rares, très rares, sont les esprits mal faits, comme celui de Marc, qui s’offusquent de ce rôle de tapins. Il n’a pas le bon goût, ou — (si ce n’est pour lui, que ce soit pour les autres !) — la charité de garder sur les yeux le ban-