Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/556

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cent voix d’instruments. Pour elle, n’y avait qu’une seule voix, mais c’était tout l’être qui parlait, non pas en mots usés de la langue, mais en frémissements inexprimés de toutes les branches du grand arbre, qui engaine entre ses murs de silence le torrent de vie. Et qui parlait ? Qui était cet être ? — Moi !…

Sylvie demeura « sidérée » par la double découverte d’une telle source d’émotions inconnue, et que cette source fût en elle. Car elle ne s’embarrassait pas de savoir que cette musique était l’œuvre de musiciens. L’identité de la phrase musicale avec sa propre substance et des battements de ce flot avec ceux de son sang, — ce miracle perçu en toute salle de concert, chez tout auditeur élu par la grâce du cœur, était encore bien plus péremptoire dans la solitude de cette chambre, où des murs nus se répercutait la voix attendue des mondes intérieurs. Si longtemps muette ! Ignorée… Et ce qu’elle dit, comment le traduire en des mots ?

— « Mon Dieu, mon Dieu ! Je ne comprends pas… Mais je sais bien que tu dis vrai, tu entres en moi au plus secret, qu’aucun regard n’a dévoilé — même le mien — et tout mon être vibre sous ton doigt, comme une corde qui s’éveille du sommeil de toute une vie. Encore ! encore !… »

Elle chercha à la faire de nouveau parler, les soirs suivants. Mais elle eut des déconvenues. L’instrument, encore imparfait, et les ondes capricieuses répondaient irrégulièrement à l’appel ; et la réponse était fantasque. Sylvie, que rien ne guidait, s’évertuait, d’un doigt rageur, à démêler du fouillis sans nom où, cul sur tête, le Nord et le Midi braillaient, l’oiseau magique dont l’appel l’avait éveillée. Mais elle butait plus souvent contre les réclames que clamait l’homme de Toulouse, ou contre les jazz sans nerf et sans saveur