Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/572

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Annette la regardait avec respect ; mais son cœur se serrait. Quand on en est arrivée à ce point de détachement, les derniers liens n’en ont plus pour longtemps…

Ils tenaient pourtant. Sylvie demeurait attachée à sa terre. À aucun moment, elle ne pouvait perdre contact avec elle. Elle n’était point, comme Annette depuis la mort de Marc, désenchantée de l’illusion, et capable, comme elle ensuite, de marcher sur cette mer sans y enfoncer. Un avant-goût de la mort, que lui donna un nouvel avertissement de la maladie — une fièvre à grandes oscillations, une stupeur où la conscience qui persistait, paralysée, comme l’insecte que décrit Fabre, se voit ronger vivante et disparaître par morceaux, sans pouvoir faire un mouvement — lui causa un brusque effarement. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Elle perdait pied. Un monde dépouillé des formes qui avaient rempli son petit univers, n’avait pour eue aucun sens. Il lui fallait sa Sylvie, son Annette, son Marc… S’ils lui échappaient !…

— « Mais qu’est-ce qu’il y a ? Mais qu’est-ce qu’il y a ?… »

Elle en était désorientée. Il lui en restait un tremblement, qu’elle écartait de sa pensée.

Une seule fois, lui échappa un cri de désarroi et d’amour :

— « Ah ! » fit-elle, un soir soudain, — et tout ce qu’elle tenait dans ses mains tomba — « ah ! qu’il puisse y avoir, quelque part, là-bas, dans ce Rien, un lieu où l’on se retrouve avec ceux qu’on a aimés, et qu’on puisse se dire enfin tout l’amour qu’on ne s’est pas dit !… »

Annette fut émue. Pour une fois, une fois unique, s’était trahi dans cette nature sèche, ironique et pratique, le fond de tendresse éperdue, qu’elle avait refou-