Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/579

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Mais que peut-on faire, quand la maladie, d’une année à l’autre, d’un mois à l’autre, vous enferme dans un cercle plus étroit, dans votre jardin, dans votre maison, dans votre chambre, — quand elle vous retranche de l’action ? Quelle dérision ! Quand cette grande vie du dehors vous inonde, quand on en est submergé, au point de ne pouvoir plus respirer, où déverser ce flot de la terre ? Écrire ? Le flot ne parvenait pas à s’égoutter par le bec étroit de la plume. Annette n’avait jamais été grande écriveuse, — sauf à son fils et à ceux qu’elle aimait : il lui fallait voir le visage, dont les yeux liraient ses lettres. Elle ne pouvait écrire à l’Anonyme ; il lui fallait le contact direct avec la foule ; et ce contact lui était maintenant refusé.

Immobilisée, — le flot intérieur battait dessous ses seins et dans la pulpe de ses doigts. La musique, longtemps négligée et sommeillant au fond de sa chair, reprit un temps la première place. Elle était la trouée faite par le fleuve au barrage de l’esprit, — les grands rapides. Annette passa des heures au piano, s’enchantant les doigts et la pensée aux mystérieuses associations des accords, qui déroulent, du fond de l’être inaccessible au regard des mots, les vagues de la vie