Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/589

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les salons, d’une chatte belle et lustrée, aux pas feutrés, qui s’engourdit, indifférente. Mais, dès qu’ils se trouvèrent seule à seul, le nonchaloir tomba instantanément ; et l’on eût dit que fondait l’embonpoint : les joues se creusent, les lèvres s’aiguisent, et les prunelles caressantes jettent des lueurs d’acier. Elle paraît rongée de la passion du combat. Elle mène dans l’Ouest américain de dangereuses campagnes pour l’Internationale socialiste ouvrière et la défense du communisme traqué. Elle y jette son mari et les amis de son mari, sans s’occuper des risques. Elle a groupé autour d’elle une élite de jeunes hommes américains : universitaires, ingénieurs, écrivains, propriétaires indépendants de vastes domaines qu’ils exploitent, au profit d’œuvres sociales, — riches ou pauvres, pour la plupart de cette espèce de New-England, pure, droite et intrépide, un peu naïve, dont nous connaissons de beaux types. Cette fraîcheur d’âme, un peu démodée, mais que renouvelle une joie d’agir et une bravoure sans compromis, fait sourire Assia ; mais elle en sait le prix, et elle les aime. Ses relations avec eux sont, en général, d’une sœur choyée et admirée. Ils ne peuvent entre eux se jalouser : elle est également à eux tous ; et son mari n’est que l’un d’eux, l’aîné. Elle fait ce qu’elle peut pour ne pas éveiller en eux des sentiments troubles. Et s’il lui est difficile parfois de se défendre de ces violentes et soudaines poussées qui font irruption du fond de sa nature, elle ne leur laisse jour qu’en dehors de ce cercle fraternel ; elle fuit du cercle, pendant quelques jours ou quelques semaines ; et aucun du groupe ne cherche à savoir où elle est ; son mari admet qu’elle ait besoin de se retirer seule, et qu’elle ait droit à disposer de soi : il lui a reconnu ce droit, une fois pour toutes, dans un sérieux entretien, un pacte scellé entre les deux ; et avec cette loyauté des meilleurs