Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/600

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l’auto, a retrouvé, dans l’ombre chaude du souvenir, l’étreinte d’une nuit, où son obsession d’adolescente, sèche et fiévreuse, s’est détendue… Et tout compte fait, ce fut et c’est l’unique joie complète de sa vie ; l’esprit et le corps ont atteint le but : vaillent que vaillent, l’esprit, le corps et le but, pour une fois, les trois ensemble se sont rejoints : c’est ce qu’on appelle la victoire. Et la victoire n’est pas morte : Marcelle vit. — Vient un jour, où pour mieux jouir de la victoire, pour la défendre, peut-être, contre le doute — ( « Ai-je vaincu ? Ai-je vécu ?… » ) — Bernadette a besoin de la mirer dans les seuls yeux qui en puissent être la pierre de touche. Les yeux d’Annette ont vu et parlé. Le cœur de Bernadette, impénétrable, a jubilé. C’est comme si elle prenait Marc, une fois de plus. Elle le prend à la mère, à la femme, au fils…

— « Je l’ai eu. Je l’ai… »

Elle exhibe Marcelle avec une satisfaction provocante. La petite fille bénéficie de ce contentement refoulé. Mais elle est parfois aussi l’émissaire qu’on charge des vieilles rancunes contre l’autre, et dont l’amertume remâchée remonte à la bouche. Elle n’est pas fille à s’en émouvoir : soit qu’on la secoue, soit qu’on la flatte, elle fait ses réflexions et elle les garde ; elle a le cuir d’âme, comme sa mère, imperméable. Ce qui est dedans, il faut être Annette pour le lire, car Annette en connaît l’alphabet : c’est celui de l’ombrageux petit tambour d’Arcole, Marc enfant, l’âme opiniâtre et orgueilleuse, qui cache ses troubles et sa tendresse, qui n’en veut rendre compte à personne, avant de les avoir éclaircis, qui se méfie de ce qu’elle aime, plus que de ce qu’elle méprise ou qu’elle hait : car ce qu’elle hait ou méprise, elle l’a jugé. Et donc, elle se méfie d’Annette ; et sa méfiance est ce qui la ramène, comme un aimant, auprès de la vieille dame.