Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/619

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La pitié abolit la frontière entre toi et ton prochain.
L’identité de toi et de ton prochain réalise en toi ton prochain.
Qui réalise en soi son prochain, me rejoint.
Qui me rejoint, sera Bouddha. »

Julien se tut, après qu’elle eut parlé. Puis, il dit :

— « C’est beau… Trop beau pour moi… Je ne serai jamais Bouddha… Mais vous, mais vous, Annette ? Au nom du ciel, dites-moi que vous ne l’êtes pas ! »

Annette rit, et dit :

— « Egoïste !… Hélas ! je crois bien que je resterai Annette, jusqu’à la fin. »

Il respira :

— « Ah ! quelle chance ! »

— « Jusqu’à la fin », répéta-t-elle, le menaçant.
« Mais après, après !… Accapareurs qui me tenez !… Ah ! quelle chance de m’évader ! »

— « Après, après !… » fit-il, sceptique. « Que j’aie : avant ! »

Il s’attrista :

— « Je ne l’ai pas eu. »

Elle approcha de lui ses jeunes yeux de vieille femme :

— « Cher maladroit !… Même pas capable d’avoir ce qu’il n’a pas eu !… Et moi, je l’ai. » Il dit :

— « Le passé ? »

Elle lui fit signe d’écouter. On entendait la voix joyeuse de George, dans le jardin.

— « Ton passé… Il est à moi. »

Il s’inclina sur ses mains, et les baisa :

— « Il est de toi. »

Passé, présent et même déjà ce qui sera, — vient un