Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/626

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

passait dans la rouge forge de Russie. L’attention et l’amour-propre de Vania étaient éperonnés par les missives qu’il recevait, rares, brèves, torchonnées, de son demi-frère le renardeau, Waldo. Le petit bonhomme de dix ans était gonflé de sa nouvelle importance moscovite. Il parlait de « notre » Plan Quinquennal, comme s’il faisait marcher le coche. Il était « Octobrien » : (c’était le titre des bambins de son âge) ; mais il annonçait avec fierté qu’il allait passer au rang de « pionnier » : cela impliquait des devoirs austères, dont il s’exaltait comme de droits. Il avait hâte de devenir « ouvrier de choc ». Il demandait, d’un ton de pitié protectrice, quand Vania et les arriérés d’Occident se décideraient à emboîter le pas et à faire enfin leur Révolution. — Vania riait aux éclats de cette suffisance. Il voyait le nez retroussé de Waldo, criblé de grains de son, qui claironnait en reniflant, tandis que le petit Hercule, les bras tendus, portait les « quinquennaux », les Plans-kilos. Mais secrètement, il était vexé de ne pouvoir lui en servir autant. Il l’était plus encore de l’enseignement polytechnique de travail, que Waldo recevait, à son école moyenne de Moscou. Le lycée de Vanves lui paraissait vieux jeu. Bien qu’il eût obtenu de prendre, en dehors, des leçons de menuiserie, ce n’étaient pas les conditions de travail vivantes (concrètes, comme ils disaient là-bas), et le compagnonnage de ces ateliers, où Waldo et ses camarades apprenaient la technique du bois, du cuir ou du métal, en produisant des objets utiles à la communauté. Là-bas, on ne jouait pas à l’ouvrier, on naissait ouvrier, et on coopérait, depuis l’enfance, à la grande œuvre. C’est que là-bas on était, tous ensemble, un même corps. Et Vania les enviait, lui le petit individualiste, fils, petit-fils, arrière-petit-fils d’individualistes ! Son sain instinct — et peut-être bien, sa secrète confiance en