Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/656

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que la vie vient de quitter, vers ceux où s’engouffrera le courant, vers l’embouchure…

Celle qui fut, parmi les vivants, Annette, — qui ne l’est plus, pour un instant, qu’afin d’assister à son écrasement dans la cuve, voit, au travers d’une buée, monter d’en-bas le pas du Fouleur de raisins… À chaque pas de son approche, s’épaissit la buée rouge et noire… La grande Ténèbre, dans un froissement de plis, rabat sur l’âme qui sombre les deux pans de son manteau. Et l’Innommable sort du fond, avec un grondement de tonnerre. La serre s’enfonce : tout est broyé, tout est fouillé par les myriades de ses vrilles : les flancs, les yeux, la bouche, le sexe ; tout est pompé ; et c’est, dans la douleur sans-nom, la sans-nom délectation de l’accouplement mortel. L’âme écrasée, distendue, se dilate, elle fait chair avec l’Être souverain. En l’évidant, il l’incorpore :

— « Tu es mienne, et je suis tien… »

Ô plénitude ! Identité !… À cette seconde, elle comprend tout, l’au-delà du bien, l’au-delà de l’être… L’ « Erleben » total s’achève. S’achève le cycle de l’Âme Enchantée… Elle était une maille de l’échelle, jetée par-dessus le vide, à un tournant. Et quand le pas qui monte s’appuie sur elle, en la broyant, l’échelon tient bon, en tournant ; et le Maître franchit, sur l’arc tendu de son corps, l’abîme. Toute la douleur de sa vie a été l’angle d’infléchissement de la marche en avant du Destin…

— « Destin ! avance ! Merci de m.’avoir prise pour marchepied !… Et je te suis. Destin je suis. »

Le jus de la grappe, que le pied du Fouleur a broyée, suit le sillage ; la coulée de vie qui s’échappe est aspirée, dans un vertige passionné, comme par une bouche, vers l’en-haut. Une dernière fois, monte de l’en-bas, un cri d’oiseau. Vania appelle :