Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/75

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Il ne répondît pas. Elle acheva son souper. Elle jeta un coup d’œil dans la chambre à côté. Il était jeté sur un divan, et ne bougeait pas… Ce grand enfant !… Elle dit, apitoyée :

— « Marc, veux-tu m’écouter ?… »

Il répliqua, d’une voix glacée :

— « C’est inutile, tu mentirais. »

Le sang de Assia lui monta au front. Il ne lui resta plus une once de pitié.

— Qu’est-ce que tu crois donc ? » demanda-t-elle durement.

Il ne répondit pas.

— « Imbécile ! » fit-elle, avec un sifflement de dédain. Elle lui tourna le dos… « Crois ou ne crois pas !… » Elle alla se coucher dans sa chambre. Il resta étendu dans l’autre chambre ; mais dans la nuit, plus d’une fois, on l’entendit marcher. Assia rageait, dans son lit. Pas un instant, dans les entretiens avec Djaneîidze, la séduction n’avait tenu place ; ni l’un ni l’autre n’y songeaient. Et cet idiot y songeait pour deux, il ne songeait qu’à cela, il la forçait à y songer ! C’était bien la peine de l’épargner !… Une malice diabolique lui rappela « l’anguille de Melun, qui crie avant qu’on l’écorche… » Crie, mon ami ! Tu crieras bien pour quelque chose… Mais c’était menace toute verbale. Elle n’avait aucune envie de l’écorcher. Ce pauvre gosse, à la peau tendre… La comparaison avec l’autre, le rude cuir râpeux du loup, s’imposa ; et un frisson lui passa, le long du dos. Elle repoussa le loup ; mais il était là : elle sentait, dans la nuit, son souffle chaud sur la face. Elle tourna le dos, irritée. Mais il était là. Le souffle lui brûlait le cou… L’imbécile qui l’obligeait à y penser, à comparer !… Elle remâchait tout l’entretien de la soirée, ce torrent lourd d’images et de pensées, ce monde mâle, fauve et fangeux, ce monde