Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/80

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— « Tant pis ! Ce sera pour un autre jour. Pour celui-ci, qu’est-ce que je fais ?… »

Elle se trouvait à dix minutes de la Représentation Commerciale.

— « Il est trop tard. Je n’irai pas… »

Elle alla pourtant dans la direction. Naturellement, elle n’entrerait pas… Elle n’eut pas besoin d’entrer. Sur l’autre trottoir du boulevard, à quarante pas, elle vit venir, parmi la foule, les larges épaules et la hure de Djanelidze. Elle eut un choc. Elle découvrit qu’avant de le voir, elle allait au devant. Elle s’irrita. Elle s’effraya. Elle s’arrêta, fichée devant un magasin, tournant le dos à la rue. Elle attendait qu’il eût passé. Il ne passa pas. Il traversa la rue et, sans mot dire, il s’aligna près d’elle en face de la devanture. Il lui clignait du coin de la paupière bridée. Elle tourna la tête et le toisa. Il n’avait pas l’air de la regarder. Mais ses yeux de Mongol riaient. Il dit :

— « Tu fais l’école buissonnière ?… »

Elle laissa tomber la question, elle dit :

— « Je te croyais parti. »

Elle mentait, et il le savait : la veille, elle lui avait demandé l’heure du départ. Il répliqua :

— « Je pars. Je vais de ce pas chez moi, faire mes paquets. Puis, à la gare. Tu es libre ? Accompagne-moi ! »

Mais il ne lui reprit pas le bras. Il se tenait à quelque distance. Il lui disait, sans la regarder :

— « N’aie pas l’air de me connaître ! Je suis filé, ou je peux l’être. »

Il fit des tours et des détours, prenant des rues de côté et des passages, qui le ramenaient en arrière sur le même boulevard ; d’un bref coup d’œil par-dessus l’épaule, il s’assurait qu’il n’était pas suivi. Et cependant, il s’arrangeait pour échanger, le museau de profil, dans le double flot des passants, des mots rapides