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LES PRÉCURSEURS

contre un ennemi supérieur en nombre, un poste qui lui avait été confié.

Dans la revue : Demain (août 1917), on peut lire l’admirable récit du combat où il fut blessé et fraternellement secouru par des soldats allemands. L’homme gisant et pantelant, qui attend le coup mortel, voit se pencher sur lui le sourire d’un adolescent, qui lui tend la main et lui dit en allemand : « Camarade, comment ça va-t-il ? » Et comme le blessé ne peut croire à la sincérité de l’ennemi, celui-ci continue : « Oh ! camarade, je suis bon !… Nous serons de bons camarades ! Oui, oui, de bons camarades… » — Ce chapitre est dédié :

« À mon frère, l’anonyme soldat würtembourgeois qui, le 30 décembre 1914, au bois de la Grurie, suspendant généreusement son geste de mort, me sauva la vie ;

À l’ami (ennemi) qui, au lazaret de Darmstadt, me soigna comme un bon père ;

Et aux camarades E., K. et B. qui me parlèrent en hommes. »

Rentré en France, ce soldat sans peur et sans reproche, retrouva l’armée fanfaronne des plumitifs de l’arrière. Leur haine et leur bêtise lui soulevèrent le cœur. Mais, au lieu de se replier en un silence de dégoût, comme tels de ses camarades, il fonça bravement, ainsi qu’il avait toujours fait, sur « l’ennemi supérieur en nombre ». Il prit, en mai 1916, la direction d’une petite revue, dont le titre est « humble », mais dont l’accent est rude et ne se laisse pas étouffer. Il déclare hautement :

« Sortis de l’âpre tourbillon guerrier, pris encore dans ses remous, nous n’entendons pas nous résigner