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LES PRÉCURSEURS

semble la vision d’un Déluge universel. La multitude humaine maudit le fléau, mais l’accepte. Dans le livre de Barbusse gronde une menace pour l’avenir : aucune pour le présent. Le règlement de comptes est remis au lendemain de la paix.

Dans Menschen im Krieg, les assises sont ouvertes, l’humanité est à la barre et dépose contre les bourreaux. L’humanité ? Non pas. Quelques hommes, quelques victimes de choix, dont la souffrance nous parle plus directement que celle d’une foule, car elle est individuelle ; nous suivons ses ravages dans le corps et le cœur déchirés, nous l’épousons ; elle est nôtre. Et le témoin qui parle ne s’efforce pas à l’objectivité. C’est le plaignant passionné, qui, tout pantelant des tortures auxquelles il vient d’échapper, nous crie : « Vengeance ! » Celui qui écrivit ce livre sort à peine de l’enfer ; il halète ; ses visions le poursuivent, il porte incrustée en lui la griffe de la douleur. Andreas Latzko[1] restera, dans l’avenir, au premier rang des témoins, qui ont laissé le récit véridique de la Passion de l’Homme, en l’an de disgrâce 1914.

L’œuvre se présente sous la forme de six nouvelles détachées, que relie seulement un sentiment commun de souffrance et de révolte. Ces six épisodes de guerre sont disposés selon un ordre de succession tout extérieure. Le premier est un « Départ ». Le dernier, un « Retour ». Dans l’intervalle se classent un « Baptême du Feu », une vision de blessés, une « Mort de Héros ». Au centre, culmine le maître de la fête, l’auteur responsable et adulé, le généralissime vainqueur. Dans les trois dernières nouvelles, la douleur physique étale

  1. Andreas Latzko est officier hongrois. Il a été blessé dans les combats de 1915–1916, au front italien.