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LES PRÉCURSEURS

s’entrecroise entre le prophète et son peuple : — « Reverront-ils Jérusalem ? » — « Qui croit, il voit toujours Jérusalem. » — « Qui la rebâtira ? » — « L’ardeur du désir, la nuit de la prison, et la souffrance qui instruit. » — « Et sera-t-elle durable ? » — « Oui, les pierres tombent, mais ce que l’âme bâtit dans la souffrance dure l’éternité ».

La trompette sonne, pour la seconde fois. Le peuple maintenant brûle de partir. Le cortège immense s’organise, en silence. En tête, le roi, porté dans une litière. Puis, les tribus. Elles chantent en marchant, avec la joie sérieuse du sacrifice. Ni hâte ni lenteur. Un infini qui marche. Les Chaldéens les regardent passer avec étonnement. L’étrange peuple, que nul ne comprend, dans ses abattements ni dans ses espoirs !

Chœur des Juifs : « Nous cheminons à travers les peuples, nous cheminons à travers les temps, par les routes infinies de la souffrance. Éternellement. Nous sommes éternellement vaincus… Mais les villes tombent, les peuples disparaissent, les oppresseurs s’écroulent dans la honte. Nous cheminons, par les éternités, vers la patrie, vers Dieu… ».

Les Chaldéens : « Leur Dieu ? Ne l’avons-nous pas vaincu ?… On ne peut pas vaincre l’invisible. On peut tuer les hommes, mais non le Dieu qui vit en eux. On peut faire violence à un peuple, jamais à son esprit ».

La trompette sonne, pour la troisième fois. Le soleil éclatant illumine le défilé du peuple de Dieu, qui commence « sa marche à travers les siècles ».

C’est ainsi qu’un artiste au grand cœur donne l’exemple de la liberté suprême de l’esprit. D’autres attaquent de front les folies et les crimes d’aujourd’hui ; aux