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LES PRÉCURSEURS

en médecine et particulièrement pour la thérapeutique du cœur, — un penseur d’une ampleur de culture presque fabuleuse, très au courant du néo-kantianisme, aussi bien à son aise dans le domaine de la littérature que des problèmes sociaux, — un voyageur que ses recherches ont conduit jusqu’en Chine, en Malaisie, en Laponie ». Rien d’humain ne lui est étranger. Les chapitres d’histoire générale, d’histoire religieuse, de critique philosophique, se lient étroitement, dans son livre, à ceux d’ethnologie et de biologie. Qu’il y a loin de cette pensée encyclopédique, qui rappelle notre XVIIIe siècle français, au type caricatural et trop souvent exact du savant allemand, cantonné dans sa spécialité !

Ce vaste savoir est vivifié par une personnalité brillante et savoureuse, qui déborde de passion et d’humour. Il ne la cache point sous le masque d’une fausse objectivité. Dès son Introduction, il arrache ce masque dont se couvre la pensée de notre époque sans franchise. Il traite avec dédain « l’éternel Einerseits-Andererseits », comme il dit, (« D’une part, d’autre part »), ce compromis perpétuel qui, sous le prétexte hypocrite de « justice », marie les contradictoires, la carpe et le lapin, « la guerre et l’humanité, la beauté et la mode, l’universalisme (Wellbürgertum) et le nationalisme ». Seules, les méthodes doivent être objectives ; mais les conclusions gardent toujours quelque chose de subjectif ; et il est bien qu’il en soit ainsi. « Aussi longtemps que nous ne renoncerons pas au droit d’être une personnalité, nous devons user de ce droit et juger les actions humaines, du point de vue de notre personnalité. La guerre est une action humaine : comme telle, elle réclame un jugement catégorique ; tout compromis serait un manque de clarté, presque un manque d’honnêteté. On doit éclairer la guerre comme tout autre sujet, de tous les côtés, avant