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LES PRÉCURSEURS

Aux prises avec l’hydre de la guerre, Nicolaï attaque le mal aux racines. Il débute par une vigoureuse analyse de l’Instinct en général. Car il se garde bien de nier le caractère inné de la guerre.

La guerre, dit-il, est un instinct qui vient du plus profond de l’humanité et qui parle même chez ceux qui le condamnent. C’est une ivresse qui couve en temps de paix et qu’on entretient avec soin ; quand elle éclate, elle possède également tous les peuples. Mais de ce qu’elle est un instinct, il ne s’en suit pas que cet instinct soit sacré. Rousseau a popularisé l’idée fausse que l’Instinct est toujours bon et sûr. Il n’en est rien. L’instinct peut se tromper. Quand il se trompe, la race meurt ; et il est compréhensible que, par suite, chez les races survivantes, l’instinct soit viable. Et pourtant un animal doté d’instincts justes peut, sorti de son milieu primitif, être trompé par eux. Telle la mouche qui va se brûler à la flamme de la lampe : l’instinct était juste, au temps où le soleil était la seule lumière ; mais il n’a pas évolué, depuis l’invention des lampes. Admettons que tout instinct ait été utile, à l’époque où il s’est formé : ainsi, de l’instinct guerrier, peut-être ; cela ne veut pas dire qu’il le soit encore à présent. Les instincts sont extrêmement conservateurs et survivent aux circonstances qui les ont motivés. Exemple : les loups qui cachent leurs excréments pour dissimuler leurs traces ; et les chiens domestiques qui grattent stupidement l’asphalte des trottoirs. Ici, l’instinct est devenu absurde et sans but.

L’homme a conservé beaucoup de ses instincts rudimentaires et désuets. Pourtant, il a les moyens de les modifier ; mais la tâche est, pour lui, plus complexe que pour les autres êtres ; il se distingue des animaux