Page:Rolland - Les Précurseurs.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
LES PRÉCURSEURS

proportionnel et la complication de sa structure. Si elles n’atteignent pas à la grande intelligence individuelle des mammifères supérieurs, elles priment tous les animaux par l’instinct social. Il n’est donc pas étonnant que leur vie sociale se rapproche sur bien des points des sociétés humaines. Comme les plus avancées de celles-ci, ce sont des démocraties — et des démocraties guerrières. Voyons-les à l’œuvre.

L’État-Fourmi n’est point borné à la fourmilière : il a son territoire, son domaine, ses colonies, et, tout comme les puissances coloniales, ses escales et ses stations de ravitaillement. Le territoire : un pré, plusieurs arbres, une haie. Le domaine d’exploitation : le sol et le sous-sol, les arbres à pucerons, ce bétail qu’elles soignent et qu’elles protègent. Les colonies : d’autres nids habités en même temps par les mêmes fourmis, plus ou moins rapprochés de la métropole et plus ou moins nombreux (parfois plus de deux cents), qui communiquent entre eux, par des chemins à ciel ouvert ou par des canaux souterrains. Les entrepôts : de petits nids ou des cases de terre, pour les fourmis qui vont au loin, sont lasses, ou se laissent surprendre par le mauvais temps.

Naturellement, ces États cherchent à s’agrandir. Ils entrent donc en conflit les uns avec les autres. « Les disputes de territoire, à la frontière de deux grandes fourmilières, sont la cause ordinaire des guerres les plus acharnées. Les arbres à pucerons sont le plus disputés. Pour certaines espèces, les domaines souterrains (les racines de plantes) ne le sont pas moins. » D’autres espèces vivent exclusivement de la guerre et du butin. Le polyergus rufescens (« l’Amazone » de Huber) ne daigne pas travailler et n’en est plus capable ; il pratique l’esclavage et se fait servir, soigner, nourrir par ses troupeaux d’esclaves, que des armées d’expéditions vont râfler (en nymphes et en cocons) dans les fourmilières voisines.