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LES PRÉCURSEURS

son nom, a un haut-le-corps de surprise, le regarde longuement, puis lui donne le conseil amical de ne pas poursuivre sa route, la nuit : car la frontière est gardée par des patrouilles avec des chiens. Et il le laisse aller. — Ne voyant plus d’autre issue que par les airs, Nicolaï s’adresse… à qui ? à un officier aviateur ; il le prie de lui prêter un aéroplane, pour passer en Hollande ou en Suisse. L’autre, sans s’étonner, répond que la chose est faisable, et que si Nicolaï veut se rendre plutôt en Danemark, ce qui serait bien plus facile, il se ferait fort d’emmener avec lui toute une escadrille. Par le fait, nous savons qu’à défaut de l’escadrille, deux aéroplanes et plusieurs officiers prirent part à l’évasion aérienne, de Neuruppin à Copenhague. — Bien d’autres traits analogues, qui, pour n’être pas tous de cette force, n’en attestent pas moins le détachement des liens qui retenaient les citoyens à l’État. La publication en Suisse du livre de Nicolaï et la diffusion clandestine en Allemagne d’une centaine d’exemplaires le mirent en relations avec des hommes de tous les partis allemands et lui permirent de mesurer, dit-il, la puissance de haine qui était dans les consciences. Il ajoute : « Je suis convaincu que l’Allemagne et le monde seraient délivrés demain, si aujourd’hui tous les Allemands disaient sans réserve ce qu’ils veulent et souhaitent, au fond du cœur. »

C’est là ce qui fait la force de sa protestation : en réalité, elle n’est pas celle d’un individu, elle est celle de tout un peuple ; Nicolaï n’en est que le héraut.

Aussi, après avoir fini son récit, se tourne-t-il vers ce peuple, qui vient de l’inspirer. Par une transformation soudaine, « l’Inconnu » à qui s’adresse cette « lettre ouverte », — derjenige Unbekannte, der die Macht hat — n’est plus le pouvoir militaire ; la force souveraine lui semble avoir passé déjà dans les mains du véritable maître : le peuple allemand. Et il