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LES PRÉCURSEURS

Quelques jours après, Le Populaire publiait (4 décembre 1918) une lettre de Romain Rolland à Jean Longuet, où il exposait le fond de sa pensée et les raisons de son attitude à l’égard de Wilson. (La lettre a été reproduite par l’Humanité, dans son numéro du 14 décembre 1918, consacré au président Wilson).


« Je ne suis pas Wilsonien. Je vois trop que le message du Président, non moins habile que généreux, travaille (de bonne foi) à réaliser dans le monde la conception de la République bourgeoise, du type franco-américain.

Et cet idéal conservateur ne me suffit plus.

Mais, malgré nos préférences personnelles et nos réserves pour l’avenir, je crois que le plus pressant et le plus efficace est de soutenir l’action du président Wilson. Elle seule est capable d’imposer un frein aux appétits, aux ambitions et aux instincts violents, qui s’assiéront au banquet de la Paix. Elle est la seule chance d’arriver actuellement à un modus vivendi, provisoirement et relativement équitable en Europe. Car ce grand bourgeois incarne le plus pur, le plus désintéressé, le plus humain de la conscience de sa classe[1]. Nul n’est plus digne d’être l’Arbitre. »

  1. La suite des événements a montré que ce n’était pas beaucoup dire. L’abdication morale du président Wilson, abandonnant ses propres principes, sans avoir la franchise de le reconnaître, a marqué la ruine du grand idéalisme bourgeois qui assura, depuis un siècle et demi, malgré toutes les erreurs, le prestige et la force de la classe dirigeante Les conséquences d’un tel acte sont incalculables.
    (R. R., juin 1919.)