Page:Rolland - Mahatma Gandhi.djvu/128

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n’est-il pas l’éternel gaspilleur des temps ? Il jette étoiles et planètes dans le tourbillon des changements ; sur le torrent de l’Apparence, il lance les bateaux en papier des Âges, remplis de ses fantaisies. Quand je le tourmente et le supplie de me permettre de rester son petit disciple et d’accepter quelques bagatelles de ma composition comme cargaison de sa barque de jeu, il sourit et je trotte derrière lui, saisissant le bord de sa robe… Mais où suis-je, au milieu de la foule, poussé par derrière, pressé de tous côtés ? Et quel est ce bruit qui m’entoure ? Si c’est un chant, alors ma sitar peut en saisir la mélodie, et je me joins au chœur, car je suis un chanteur. Mais si c’est une clameur, alors ma voix est étouffée, et je suis étourdi. J’ai essayé, tous ces jours, tendant l’oreille, d’y découvrir une mélodie ; mais l’idée de Non-coopération, avec son formidable volume sonore, sa menace agglomérée, ses clameurs de négation, ne me chante rien. Et je me dis : « Si vous ne pouvez marcher du même pas que vos compatriotes, en cette grande crise de leur histoire, gardez-vous de dire qu’ils ont tort et que vous avez raison ; mais abandonnez votre rôle de soldat, retournez dans votre coin de poète, et soyez prêt à accepter la dérision et la disgrâce populaire ! »[1]

Ainsi parlerait un GoetheGoethe Bacchus indien. Et il semble que, désormais, tout soit dit : le Poète prend congé de l’Action, qui nie ; et il tisse autour de lui l’enchan-

  1. 5 mars 1921.